Plus concentré, plus riche en alcool, moins acide. Voilà ce à quoi pourrait bien ressembler notre verre de vin rouge en 2050. Les effets du changement climatique ont été décrits sur la vigne et le vin. Aussi, les recherches visent-elles dorénavant à préparer l’ensemble de la filière vitivinicole au climat de demain.
La seconde phase du projet Laccave, porté par l’Inra depuis 2012, s’attache à fournir des pistes opérationnelles d’adaptation au niveau national, région par région, vignoble par vignoble (en savoir plus sur Laccave 2.21).
1,4 °C. C’est la hausse de la température moyenne de l’air enregistrée depuis 1900 en France.
« Comme toute production agricole, la viticulture se prépare à un climat plus chaud, plus sec et aux conséquences que cela aura sur le fonctionnement des vignes, le rendement et la composition des raisins, l’élaboration du vin et la localisation des vignobles », explique Nathalie Ollat.
Depuis 2012, cette spécialiste de la vigne co-pilote le projet Laccave « Adaptation à long terme au changement climatique pour la viticulture et l’œnologie » avec son collègue économiste, Jean-Marc Touzard.
Laccave est une initiative des chercheurs Inra pour répondre aux questions des professionnels : comment aider les acteurs de la filière viti-vinicole à se préparer au climat de demain ? Les travaux menés de 2012 à 2016 ont étudié les impacts à long terme du changement climatique sur le vignoble. Les scientifiques ont également exploré 4 voies d’adaptation pour les régions viticoles de France afin de définir des stratégies locales.
Nathalie Ollat revient sur les enjeux, les besoins et l’approche adoptée pour la seconde phase du projet qui court jusqu’en 2021.
Que va apporter la poursuite du projet Laccave ?
Nathalie Ollat : Nous passons à une phase plus opérationnelle du projet. La question sous-tendant les travaux engagés a toujours été : que fait-on pour s’adapter ? Nous avons étudié indépendamment plusieurs leviers d’adaptation dans la phase 1. Notre approche avec la poursuite du projet est de dire qu’il n’y a pas une seule solution mais un ensemble de solutions qui doivent être combinées dans des stratégies plus complexes. Il faut pouvoir étudier et rendre plus opérationnelles ces stratégies pour aider les professionnels à démarrer leur adaptation au cas par cas.
Pouvez-vous nous donner un exemple ?
N. Ollat : La gestion de l’eau est une des questions majeures qui nécessite qu’on apporte une expertise complexe. On ne peut pas se contenter de dire qu’il faut irriguer. Comment se projeter dans le futur pour savoir quelle pratique mettre en œuvre dès maintenant ? L’idée est de mettre à disposition des professionnels des indicateurs « éco-climatiques » sur les conditions de culture de la vigne en 2050 région par région, vignoble par vignoble. Pour avoir un chiffrage précis, nous utilisons les simulations des climatologues couplées avec des données sur le fonctionnement de la vigne. Grâce à quoi, nous pouvons quantifier des projections sur les stress subis par la vigne en 2050, vagues de chaleur pendant le développement des raisins (véraison) ou épisodes de gel au printemps.
Les vignobles français sont inégaux par leurs terroirs, les surfaces, ou volumes de production. Ne faudrait-il pas prévoir une application à la carte des mesures pour s’adapter au changement climatique ?
N. Ollat : Il n’y pas de solution clé en main. L’adaptation mobilise beaucoup les démarches participatives. Notre but est de co-construire ces solutions avec les acteurs à 3 niveaux. Au niveau national, avec les organisations représentatives de la filière vigne & vin pour définir un plan stratégique d’adaptation au changement climatique. Au niveau local, à l’échelle de la propriété viticole, nous aidons les organismes de gestion d’appellation d’origine à expérimenter des systèmes de cultures résilients vis-à-vis du changement climatique. Et enfin, à l’échelon régional, nous accompagnons des démarches collectives de formation et d’information pour favoriser les partages d’expériences et aider les viticulteurs et leurs organisations à définir leurs stratégies d’adaptation.
Quid de l’avenir de la viticulture française dans le paysage mondial de demain ?
N. Ollat : En 2013, une étude américaine avait publié que 50 % du vignoble français disparaitrait en 2050 à cause du changement climatique et de la raréfaction de la ressource en eau. Mais les précipitations sont le paramètre le plus mal évalué pour l’instant. D’ici 2050, des solutions techniques seront apparues pour mieux résister aux sécheresses et aux températures plus élevées, accompagner une relocalisation à la marge des vignobles ou le changement de type de vins. Par exemple, l’encépagement a toutes les chances d’évoluer et cette solution est déjà considérée par les organismes d’appellations d’origine. Depuis 2018, les viticulteurs sont autorisés à introduire des cépages extérieurs dans leurs cahiers des charges. Dans le Bordelais, des cépages non autorisés sont testés pour une meilleure adaptation au changement climatique tout en s’assurant qu’ils sont conformes à la typicité des vins de Bordeaux.
À l’Inra, nous avons un dispositif expérimental avec 52 cépages différents provenant du sud et de l’ouest de l’Europe. Nous les étudions pour voir comment ils pourraient répondre à la production de vin de Bordeaux demain. Tout est en ordre de marche pour cette évolution.
Mais le changement climatique n’est pas le seul enjeu pour la filière. La Chine est un compétiteur important car elle possède une diversité de régions climatiques, est capable de produire de gros volumes et a un marché important. En Europe, les vignobles septentrionaux devraient se développer, notamment au sud de l’Angleterre, quelques-uns en Suède, sans commune mesure avec les surfaces chinoises. Mais je pense que la viticulture française est bien armée au niveau international pour garder un leadership en termes de surfaces, de quantité et de qualités de vins.